Nous constatons donc qu’à l’endroit-même de ce bouleversement générationnel vient s’inscrire, comme sa cause, non une volonté humaine, mais le projet divin. Le texte grec se fait ici très tranchant et radical. Il dit d’abord que Marie “se trouva” : c’est donc une surprise pour elle aussi de “se trouver” différente (le verbe utilisé ici a donné notre “eurêka”, qui dit la surprise, l’inédit, la nouveauté). “Elle se trouva ayant au ventre d’Esprit Saint”. La préposition grecque ek, – qui dit l’origine, la source –, indique que “ce qu’elle a au ventre (pro-vient) d’Esprit Saint”. Le Souffle Saint de Dieu a touché sa chair, lui donnant de concevoir. Conception unique et inattendue s’il en est ! Conception inconcevable, qui fait de Jésus un humain certes, en tant que fils de Marie, mais un humain hors humanité en tant qu’originé, en sa vie, du Souffle même de Dieu.
Aujourd’hui, la suite de l’évangile (1,18-25) nous fait porter notre attention surtout sur la figure de Joseph, et sur le déplacement et la transformation qui s’opèrent en lui.
Au départ, Joseph nous est présenté comme “l’homme” de Marie, un “juste”. Sa justice se lit dans son respect de la loi mosaïque (cf. Deutéronome 22,23ss) : selon elle, il doit “répudier” Marie, et lui-même envisage de la “délier” de ses engagements de fiancée. Pourtant Joseph est juste surtout en allant plus loin que la loi : ne voulant pas que Marie soit bafouée (le verbe est fort, qui dit injures, vexations, calomnies et autres moqueries), il va le faire “secrètement”, en cachette, sans bruit.
Alors qu’il semble perdu dans ses réflexions (Chouraqui traduit : “en cette perplexité”), lui advient, soudainement (“voici que”), un “ange du Seigneur”. Sa visite est nocturne, elle se fait “en songe”, lorsque Joseph n’est plus maître ni de ses projets ni de quelconques raisonnements. En cette deuxième étape décisive, la parole du Seigneur lui rappelle certaines choses et lui donne d’en entendre d’autres, qu’il ignorait :
- D’abord qu’il est “fils de David”. Engendreur non, mais “fils” oui ! Et donc situé dans cette lignée générationnelle qui vient d’être rappelée et dans laquelle il pourra bientôt inscrire le “fils de Marie”, en le nommant ;
- Ensuite que, sans crainte, il a à entendre et réaliser plusieurs actions :
- envers Marie sa femme d’abord : il doit “la prendre auprès de lui”. Non la délier pour la renvoyer, mais lui faire une place en l’accueillant à ses côtés. On pourrait dire que l’ange lui ordonne d’entériner les noces, de les officialiser, en les incarnant dans une réelle proximité de vie.
- de l’enfant que porte sa femme, il lui est parlé : “ce qu’elle a en elle est d’Esprit Saint” (1,20). Nous l’avons déjà lu (et sommes moins estomaqués), mais pour Joseph, c’est de l’inédit ! Pareille réalité n’est au programme d’aucune préparation au mariage, et pourtant c’est ce qui leur arrive, à eux deux ! A eux trois plutôt, car Joseph est appelé à faire place à un Tiers, qui s’est inscrit entre eux en participant de l’engendrement de l’enfant : le Souffle Saint.
- Ce fils que sa femme enfantera, c’est à lui qu’il reviendra de donner un nom : “Jésus”.
A son réveil, Joseph exécute l’ordre de l’ange : “il prit sa femme auprès de lui” (1,24). Et, ne l’ayant pas connue jusqu’à ce qu’elle ait enfanté un fils, “il l’appela de son nom : Jésus” (1,25, verset non pris en compte dans le lectionnaire liturgique).
Deux versets, entre temps (1,22-23), nous apprennent que tout cela, – cet engendrement nouveau d’une femme par le Souffle divin –, accomplit une parole du Seigneur annoncée par le prophète. Retenons de cette prophétie (d’Isaïe 7,14) que le nom que l’on donnera à l’enfant sera “Emmanuel”. Et même si Jésus ne sera jamais nommé ainsi, cela nous indique qu’en ce qui advient, là, – en cette incarnation –, il y a bien, “avec nous, Dieu” !
“Nous”, le peuple que Jésus sauve de ses péchés. “Nous”, tous ceux, aussi loin que porte le regard, qui voudront bien, librement, s’inscrire au nombre des sauvés de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham.
Nous te remercions, Joseph, d’avoir consenti à pareille déplacement. D’avoir assumé d’être ainsi bousculé dans tes repères. D’avoir été travaillé, en songe, au point d’écouter et d’obéir totalement à la parole du Seigneur, de lui avoir fait crédit.
Nous te remercions de t’être engagé, corps et âme, à prendre Marie auprès de toi, et avec elle son fils. D’avoir donné un nom, un toit, une famille à cet enfant venu d’Ailleurs, venu de l’Autre, et né pour notre salut.
Sr Isabelle Donegani